Les archives sont notre histoire
"Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs."
Ces mots, prononcés par l’historien américain Howard Zinn, nous rappellent – avec malice – que l’histoire est un enjeu politique. Certains cherchent à l’effacer, à l’image de la Commune de Paris dont l’enseignement est facultatif dans les programmes scolaires. D’autres tentent de l’instrumentaliser, en affirmant sur une affiche électorale que Jean Jaurès aurait voté Front national. Bon nombre enfin flattent leur image en présentant leur vision de l’histoire, comme ces grandes entreprises qui s’offrent des expositions et des publications, voire même des musées et des centres d’archives.
L’histoire, un combat syndical
Pour tous les aspects de l’activité syndicale, l’histoire est une alliée précieuse. Les luttes, les erreurs, les succès des précédentes générations militantes méritent d’être connues de toutes et tous. Car nul ne peut douter que notre pays aurait un visage bien différent si le syndicalisme n’avait pas existé. L’histoire constitue aussi un formidable réservoir d’expériences pour aujourd’hui, pour enrichir ses propres réflexions, pour mieux saisir l’importance des conquêtes arrachées et les méthodes mises en oeuvre pour y parvenir. Défendre la Sécurité sociale, sans connaître les analyses et les combats menés dans le passé par notre organisation, c’est à coup sûr se priver d’arguments pour convaincre les salarié·e·s. « Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs. »
Les archives, un retour aux sources
Les archives sont la preuve du passé, elles témoignent de la réalité des actes, des événements, de l’élaboration de nos analyses, de nos orientations et de nos revendications. Elles constituent également des preuves pour satisfaire aux exigences légales et réglementaires ou réagir en cas de litiges. Les archives écrites (papiers ou numériques), orales, audiovisuelles et les photographies constituent la matière première de l’histoire. Si les papiers parlent, les gens se taisent. Aujourd’hui, certaines de nos organisations n’ont plus d’archives : la clandestinité, les scissions, les déménagements, les conditions insalubres de conservation ont eu raison des documents.
Ces organisations là en
souffrent. Pour ne pas être
condamnées à l’amnésie,
elles en sont réduites à
devoir consulter la presse,
les rapports de police pour
justifier de leur vie, de leur
activité. Trop souvent nous
oublions que l’histoire s’écrit
au quotidien. Au moment de
l’événement, les acteur·e·s
n’ont pas conscience de
façonner l’Histoire. Ainsi les
quatre-vingt-quinze délégués
au congrès de Limoges
en 1895, n’imaginaient
sans doute pas le rôle que
jouerait, plus de 120 ans
après, en France et dans le
monde, l’organisation qu’ils
fondaient.
Les archives, une responsabilité collective
Toutes les organisations de la CGT, de la section syndicale à la Confédération, produisent et reçoivent chaque jour de nouveaux documents d’archives, en format numérique ou papier. Correspondance, compte-rendu de réunion, déclaration, tract, affiche, courriel, photographie, montage audiovisuel ou encore compte sur les réseaux sociaux ou page de sites internet sont le fruit de notre activité syndicale, mais constituent aussi un patrimoine commun dont la responsabilité est collective, au même titre que la Charte de l’élu·e et mandaté·e CGT nous rappelle que « personne n’est propriétaire de son mandat syndical, et chaque responsabilité est un bien collectif.»
À la création du mouvement syndical, les trois fonctions essentielles étaient : le secrétaire général, le trésorier et l’archiviste. En effet, les archives témoignent de la continuité de l’organisation, elles accumulent son savoir et constituent son patrimoine matériel et intellectuel. Le soin à apporter à ce patrimoine collectif relève donc de notre responsabilité à toutes et tous. Archiver est une responsabilité de toute l’organisation, une tâche politique. Être attentif à la qualité de traitement de nos travaux actuels, c’est déjà oeuvrer pour les générations futures de militantes et militants.
Pourtant, trop souvent, nos archives ne sont ni triées, ni classées. Au mieux, elles sont oubliées dans une armoire ou une cave ; au pire jetées sans discernement pour faire de la place. Ce constat est plus préoccupant encore pour les archives numériques. Car si la pérennité des systèmes informatiques, des formats et supports est loin d’être assurée, les copies de sauvegardes bien qu’indispensables ne suffiront pas : en l’absence de classement et de politique commune, nos dossiers et documents numériques, dont le volume est toujours plus important, deviendront inexploitables.
Bien constituer ses dossiers, dès leur création, en respectant des règles communes de nommage et de classement, permet de faciliter ensuite les recherches et l’élimination des documents non essentiels. Chacune et chacun d’entre nous, à son échelle, peut y contribuer. Si ce travail est accompli sérieusement et régulièrement, les archives peuvent être facilement consultées et leur volume, tant dans les locaux que sur les serveurs, reste maîtrisé. Ainsi, nous sommes collectivement plus efficaces !
À l’inverse, le manque d’attention et de régularité constitue un obstacle dans la bonne transmission des dossiers lors du renouvellement des directions syndicales ou même lors de certains recours en justice. Mais l’inaccessibilité des archives empêche aussi tout travail sérieux sur l’histoire de nos organisations, de leur quotidien comme de leurs luttes. Sans archives, pas d’histoire possible !
Nos archives ont une
utilité sociale. Ouvertes
aux chercheur·e·s, elles
permettent l’écriture de
travaux scientifiques;
exploitées par les revues
historiques, elles contribuent à l’information, à la
connaissance de l’histoire;
matière première pour des
expositions, colloques et
manifestations en tout
genre, elles permettent de
témoigner, elles donnent à
penser.
Des outils existent
La CGT et ses organisations
peuvent compter sur un
vaste réseau d’instituts
d’histoire sociale (IHS),
professionnels et
territoriaux, dont l’une des
missions est précisément
de collecter, de classer,
d’inventorier et de valoriser
les archives syndicales. Il
ne faut donc pas hésiter à
les solliciter pour protéger
et défendre notre histoire
et pour la faire connaître le
plus largement possible,
mais également à soutenir
leur action, en adhérant
individuellement et
collectivement.
Le saviez-vous?
La Confédération s’est
dotée d’une Documentation
qui offre l’accès à des documents
de tout type produits
dans la grande majorité en
dehors de la CGT. Outil à
destination des militant·e·s,
élu·e·s et salarié·e·s exerçant
leur mission à la Confédération,
elle permet à chacun·e
de s’informer, se former,
nourrir sa réflexion sur les
débats engagés et les luttes
menées par la CGT, se
cultiver, voire même se
divertir. Votre organisation a
peut-être sa propre
Documentation, n’hésitez
pas à vous renseigner.
Guide pratique
La CGT est de loin l’organisation syndicale qui possède, malgré les vicissitudes de l’histoire, les fonds d’archives les plus importants, les plus anciens et les plus diversifiés. Ces archives constituent le matériau indispensable pour écrire l’histoire et transmettre notre mémoire collective. Connaître son histoire, celle du mouvement ouvrier, des conquêtes sociales et des combats menés pour les obtenir, nous permet bien souvent d’éclairer les stratégies actuelles. Mais ces sources, comme toutes celles du mouvement social en général, sont fragiles et dispersées. Archiver n’est pas seulement une affaire de spécialistes ou celle de camarades dévoué·e·s. Prenons soin ensemble de nos archives !
Archivage. Balayons les idées reçues!
« On n’a pas besoin des archives pour militer ! »
FAUX. Il est trop souvent admis que les luttes collectives sont un vecteur suffisant pour la transmission d’expériences. Pourtant, à la création du mouvement syndical, les trois fonctions identifiées étaient : le secrétaire, le trésorier et l’archiviste. Les militant·e·s d’hier avaient bien compris l’enjeu politique que représente la conservation des traces de l’activité. Témoins de la continuité de l’organisation, les archives permettent aux syndiqué·e·s, aux dirigeant ·e·s, d’être en mesure de mieux appréhender les défis actuels. Les militant·e·s ont besoin de connaître l’histoire de leur organisation, et ceux de demain auront la même demande.
« Les archives, ça ne me concerne pas ! »
FAUX. Quelle que soit ma fonction, je reçois et produis des documents tous les jours (notes manuscrites, courriels, comptes rendus de réunion, etc.), donc je suis concerné·e. La Charte de l’élu·e et mandaté ·e CGT, souligne un aspect essentiel : « Personne n’est propriétaire de son mandat syndical, et chaque responsabilité est un bien collectif ». Il en va de même pour les archives. Comme chaque militant•es, je participe à l’enrichissement de notre patrimoine syndical. Or trop peu de camarades ont le réflexe d’archiver ce qu’ils produisent. Archiver est un acte militant !
« Le classement, c’est quand j’ai le temps ! »
FAUX. Une organisation efficace des dossiers facilite grandement le travail au quotidien. Qui n’a pas perdu deux heures à rechercher un document dont il avait besoin ? Qui n’a pas déjà travaillé sur un sujet pour se rendre compte après-coup que des camarades avaient déjà écrit des articles, des brochures ou des notes sur la même thématique ? S’occuper des archives, ce n’est pas « perdre son temps » mais, au contraire, en gagner ! Perçus généralement comme ennuyeux, le classement et l’archivage sont pourtant des réflexes que je dois adopter tous les jours et pas uniquement lorsque mon bureau devient trop encombré ou le serveur saturé.
« Avec l’informatique et la numérisation, plus de problème d’archivage ! »
FAUX. Quotidiennement, je crée des documents Word, j’envoie des courriels, j’intègre des données dans mon logiciel métier. Si cette information n’est pas organisée, elle sera inexploitable et deviendra rapidement une « poubelle numérique ». Attention au contresens ! Pour les informaticiens, l’archivage est une sauvegarde afin de disposer en permanence d’une copie en cas de panne de l’ordinateur ou du disque dur sans pour autant que les documents numériques soient organisés. Pour l’archiviste, l’archivage consiste à gérer et organiser l’information dans le temps pour la rendre accessible durablement, bien au-delà de la vie des supports !
Postérité. À vos sources, prêts, archivez!
Les archives, par essence fragiles, sont de notre responsabilité. Retour sur cet enjeu politique majeur.
Partant du constat que l’« on ne recrée pas les archives du passé […] Archiver, c’est anticiper »*, militant·e·s de la CGT d’aujourd’hui, vous êtes les seul·e·s à pouvoir vous soucier des traces laissées par votre activité.
Même si cela peut paraître contraignant, archiver permet au quotidien de disposer en permanence des informations utiles afin d’être plus efficace et de protéger les documents indispensables à conserver à des fins de preuve juridique et légale. Nos archives syndicales sont là aussi pour la recherche historique et pour être valorisées à l’intention d’un large public.
*Chabin M.-A., Archiver, et après ?,
Paris, Djakarta éditions, 2007.
Mais alors, les archives, qu’est-ce que c’est ?
Souvent connotées péjorativement, les archives ne se résument pas à des cartons remplis d’anciens documents entassés dans des locaux saturés et poussiéreux, destinés aux recherches d’une petite élite autorisée. La loi de 2008 sur les archives nous en donne une définition résumée ici :
"Les archives sont l'ensemble
des documents et
des données produits et
reçus quels que soient leur
date, leur forme, leur support
matériel et leur lieu de
conservation et préservés
à titre de preuve et d’information
par toute personne
physique et morale, et par
tout service ou organisme
public ou privé dans l’exercice
de leur activité. "
Chaque organisation est responsable de ses archives
À tous les échelons, nos organisations produisent et reçoivent de l’information dans le cadre de leur activité. Ces documents s’accumulent dans les bureaux, encombrent les caves, saturent les serveurs. Vient un moment où les questions de tri s’imposent ! Par où commencer ? À la CGT, chaque organisation est responsable des archives qu’elle produit. Il n’est donc pas utile de conserver indéfiniment les documents produits par les autres structures de la CGT. Les dossiers de travail produits par votre organisation sont à conserver précieusement. Sont à sauvegarder en priorité : les documents relatifs à la création, aux finances et à la comptabilité, la gestion du personnel et des biens immobiliers si vous en avez, ceux produits par les instances statutaires. Il en va de même pour les notes communiqués, courriels, ainsi que le matériel syndical que vous produisez (photos, affiches, tracts, banderoles, drapeaux, etc.). Tous les supports sont donc concernés : audio, photo, vidéo, numérique et papier. Archiver, ce n’est pas tout garder ou tout jeter, c’est savoir trier à bon escient pour conserver l’essentiel !
Trier, classer, archiver, mode d’emploi
- 1 – Dès la création d’un
document, je mets un auteur,
une date, un titre. Pour les
documents numériques, je
respecte les règles de nommage
préalablement définies
collectivement.
- 2 - J’organise mes documents par dossiers. Par exemple, un dossier sur une négociation, sur une lutte, sur une réunion, etc.
- 3 - J’ordonne mes dossiers entre eux en créant un plan de classement et/ou une arborescence des dossiers numériques.
- 4 - Je trie régulièrement, j’élimine les doublons. Quand un dossier papier est clos, je le conditionne dans une boîte d’archives où je reporte son intitulé et les dates extrêmes.
- 5 – Je mets les archives en
sécurité. Dans un local spécifique
fermé à clé pour les
archives papier, sans variation
de température, d’humidité
et de lumière, avec
des rayonnages métalliques.
Pour le patrimoine numérique,
conserver sur un serveur
avec des sauvegardes
régulières. Aucun support
de stockage n’est véritablement
pérenne. Dupliquer sur
différents supports complémentaires,
entreposés à
distance.
11 juillet 2023