Prouver la discrimination
Il est souvent difficile pour un salarié victime de discrimination de trouver les éléments de preuve prouvant la discrimination, car elles sont souvent aux seules mains de l’employeur. En effet, bien que l’aménagement de la preuve soit favorable à la partie demanderesse, il existe dans la réalité une inégalité des armes entre les parties au procès. L’employeur est souvent le seul à détenir les éléments permettant de prouver la différence de traitement dont le salarié s’estime victime, tels que les bulletins de paie avec qui le salarié cherche à se comparer, les CV des candidats…
La discrimination peut relever d’un processus qui se déploie dans le temps ou apparaître ponctuellement.
Plusieurs méthodes sont envisagées pour mettre en lumière une discrimination « identifier la discrimination en se focalisant sur l’apparition d’une caractéristique (un critère) ou de sa connaissance par l’employeur dans la carrière d’un demandeur et ses effets sur le déroulement de celle-ci » (Cass. Soc. 6 nov 2013, n°12-22270). Cette méthode est notamment utilisée pour démontrer l’existence d’une discrimination syndicale avant ou après la prise de mandat (Cass. Soc. 24 sept 2008, n°07-40935), après un congé maternité d’une salariée (Cass.Soc.16 juil 1998,n°90-41231). La chronologie des faits peut ainsi constituer un élément de présomption d’une discrimination.
Pour établir un traitement défavorable, la Cour de cassation fait aussi régulièrement usage de la méthode dite «des panels » et de « la méthode de triangulation » basée sur « la méthode Clerc » et qui permet d’identifier un retard de progression professionnelle ou salariale et l’évaluation du préjudice subi du fait de cette discrimination. Elle repose sur une comparaison de salariés placés dans une situation comparable. Or, les éléments utiles à la comparaison comme les salaires, ou la durée moyenne de passage d’un coefficient à un autre sont des éléments détenus par l’employeur.
Le juge doit donc jouer un rôle actif dans le contentieux de la discrimination. Pour ce faire, il dispose de plusieurs outils :
- Ordonner des mesures d’instruction comme la réalisation d’une expertise (Cass. Soc. fev 2009, n° 07-42697)
- Ordonner la remise de documents détenus par l’employeur. Ex les bulletins de paie entrant dans le panel de comparaison (Cass. Soc. 7 juin 1995, n°91-42604)
- Nommer des conseillers rapporteurs (CA Versailles 8 sept 2010)
L’article 145 du Code de Procédure Civile permet aussi au salarié, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, de demander au juge d’ordonner les mesures d’instructions nécessaires (Cass. Soc. 22 sept 2021, n° 19-26144). Il doit « restreindre les demandes trop générales à des éléments nécessaires à l’administration de la preuve » (Cass. Soc. 16 dec 2020,n°19617637) et « vérifier au travers d’un contrôle de proportionnalité, si et dans quelles mesures l’atteinte au droit au respect de la vie privée que représenterait la communication de certains documents, est nécessaire et proportionnée face au motif légitime que représente le droit de faire reconnaître la discrimination subie ».
La garantie de l’accès à la preuve par le juge est donc essentielle pour établir la discrimination subie. En application de l’article L 1134-5 du Code du Travail, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par 5 ans « à compter de la révélation de la discrimination » soit, selon le législateur, à compter de la connaissance exacte des faits permettant à la partie demanderesse d’exercer son droit, « grâce à la communication par son employeur d’éléments de comparaison avec la situation professionnelle de ses collègues » (rapport Sénat 28 mai 2008 par l. Béteille). L’action ne pourra donc être valablement introduite qu’en pleine connaissance des éléments de la cause. L’accès à la preuve impacte également le droit à la réparation intégrale du préjudice subi.
Dans deux arrêts, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a affirmé que « l’aménagement de la charge de la preuve ne peut fonctionner que si le demandeur a accès aux informations et que le juge veille à ce que les procédures internes n’aient pas de résultat de priver d’effets les directives » (CJUE 21 juil 2011, aff. C-104/10, Kelly. CJUE 19 avr. 2012, affa. C- 415/10, Meister)